Julio Silva

Chaque jour, ou presque, Silva a choisi la poésie. Contrairement à ce qui arrive en littérature, la poésie, en peinture, ne peut s'égarer dans la gratuité ou l'art pour l'art.

Le poète peut s'amuser à jouer avec des mots, à les assembler à sa guise, selon sa fantaisie, comme certains peintres assemblent des formes et des couleurs.

La peinture poétique, c'est déjà un genre de peinture qui, non seulement échappe, mais s'oppose à tout formalisme. En choisissant la poésie, le peintre Silva a donc opté pour une certaine expressivité, la concrétisation d'états d'esprit, une vision profondément entachée d'affectivité.

La peinture de Silva marque avec détermination la réaction amorcée depuis quelques années déjà contre le purisme abstrait et la froideur géométrique qui triomphèrent au lendemain de la dernière guerre. L'hégémonie géométrique était en train de périr d'autoasphyxie lorsque commença une série de manifestations picturales de caractère plus humanitaire, propres à insuffler à l'art contemporain un nouveau dynamisme émotionnel. Mais le tachisme en se multipliant se dissipa dans un pernicieux anonymat et l'informel portant en lui sa condamnation, tend à se dissoudre en un néant délavé.

A son origine l'art de Silva se teinta d'emprunts et de réminiscences surréalistes. Nombre de critiques se montraient alors excessivement réservés devant tout ce qui rappelait de près ou de loin des théories qui n'engendrèrent guère d'oeuvres durables, et professaient une horreur violente pour la visualisation de thèmes littéraires, dans un style dont la précision maniérée, la facture lisse s'apparentent à l'académisme le plus odieux.

Mais le style de Silva ne doit rien à cette tradition surréaliste qui était la négation même de l'art moderne, il laisse sa part à la peinture, aux " formes et aux couleurs en un certain ordre assemblées ". Seulement, cet ordre se moque de la beauté pure et du plaisir du seul regard. Il s'attache à suggérer plus qu'à figurer, à recréer plus qu'à reproduire.

A regarder la peinture de Silva, on peut concevoir aujourd'hui que dans l'héritage du Surréalisme, il y avait les germes d'une renaissance du sentiment humain dans l'art.

Chaque peinture de Silva est avant tout état d'âme. Elle peut vous fasciner ou vous irriter selon votre humeur du moment. Cette affectivité s'annoblit et se poétise à la mesure même des symboles dans lesquels elle s'incarne. Elle fait apparaître sous nos yeux un univers mystérieux, où minéraux, végétation, insectes étranges prolifèrent, envahissent et animent la toile. La notion d'éternité en est absente, mais non celle du temps. Chaque oeuvre, en effet, semble s'exercer dans une durée déterminée, celle qu'a pris le sujet pour croître, se développer et envahir la surface.

Mais un processus répétitif permet de reprendre chaque toile à son origine et de se laisser emporter par son fougueux mouvement de croissance, selon un tempo plus ou moins rapide, sans jamais se lasser.

Même en poussant l'analyse des thèmes et des symboles favoris de Silva, il est impossible de discerner ces traces de folklore que l'on pourrait attendre chez cet argentin. Sa sémantique picturale n'est ni sud-américaine, ni hispanisante, mais uniquement humaine, et comme telle universelle. Comme elle demeure personnelle, c'est bien à une universalité qu'elle atteint et non à un internationalisme qui laisse supposer une uniformisation où s'anéantit toute personnalité.

A peine éprouve-t-on un exotisme tempéré, l'élan d'une nature plus ardente que la nôtre à conquérir son bout de terre et sa part de soleil, la vitalité d'un monde animal et végétal, d'une vigueur surprenante, tout accaparé par sa volonté de vivre, sans souci de faire inutilement chatoyer ses couleurs aux rayons de soleil.

Cette nécessité, cette contingence organique est un des traits et le plus décisif de la peinture de Silva.

Georges BOUDAILLE